L’esprit kibboutz, une nouvelle politique ?
by Claude Berger on septembre 18, 2017
Il n’est pas fréquent qu’un homme politique, ici Roger Karoutchi, sénateur Républicain des Hauts-de-Seine, ait le mérite d’évoquer la méthode des kibboutz pour l’apprentissage de la langue et l’intégration des populations de différentes cultures et propose de s’en inspirer en France face à l’échec du « contrat d’intégration républicaine ». En Israël, note-t-il, « l’oulpan de jour permet aux immigrés de suivre cinq heures de cours, cinq jours par semaine pendant cinq mois » alors qu’en France ne sont prévues que 200 heures de cours au maximum, étalées sur un an « en l’absence de sanction réellement dissuasive en cas d’échec ». Il faut ajouter au propos du sénateur que la réussite de cette méthode doit surtout au sens du collectif qui anime l’esprit kibboutz.
La spécificité de la formule du kibboutz, inventé à Degania en 1909, consiste à ne plus reposer sur le salariat, système où chacun travaille pour soi et « pour le salaire », chapeauté par l’Etat qui gère une citoyenneté désolidarisée, et de le remplacer par le sens communautaire et le partage, ce qui implique un changement de mentalité et une éthique de solidarité.
Aujourd’hui, si de nombreux kibboutz sont retournés à la rémunération par le salaire, il en reste un grand nombre, autour de 70, qui ont conservé la formule initiale. Mais un phénomène nouveau est apparu, celui des kibboutz en ville, ou kibboutz urbains, qui reposent sur la constitution d’une association à la fois économique et existentielle.
C’est cet esprit collectif qui imprègne ces lieux d’apprentissage de la langue et de la citoyenneté évoqués par Roger Karoutchi dans son rapport. Or il se fait que cet esprit et cette formule du kibboutz urbain sont dépositaires à terme d’un projet de régénération de nos sociétés, menacées par les contradictions explosives d’une société reposant sur le salariat mondialisé, avec pour conséquences la persistance du chômage, la déperdition culturelle, la chute de la ruralité, l’individualisme, la violence, l’antisémitisme, l’obsession de la croissance, la montée des flux migratoires d’Afrique et des pays musulmans, l’islamisation de la France et de l’Europe et le terrorisme de l’islamisme spontané de ceux qu’on prétend « pathologiques » et de l’islamisme organisé et commandité par Daesch.
Sous l’influence de la gauche depuis près de cent cinquante ans, nos sociétés sont inconscientes d’elles-mêmes. La gauche a ainsi réduit le capitalisme à l’exploitation dans l’ignorance qu’il reposait sur la transformation du travail en marchandise concurrentielle. Dès lors son credo essentiel se réduit à la revendication pour faire valoir le prix de la force de travail alors que le patronat cherche à en réduire le coût.
Face à cette revendication et à la concurrence marchande des produits, le capital importe des travailleurs, abstraction faite de leur culture, fussent-elles mortifères, exporte ses fabriques, robotise et étend le salariat au monde entier. Ce qui fait que la CGT et Mélenchon sont les meilleurs agents de l’expansion du salariat et du capitalisme libéral qu’ils croient combattre à coup de menton. Et sinon ils réactivent l’idéologie moribonde du capitalisme d’Etat donc du salariat d’Etat bien pires que le capitalisme et le salariat libéral. (Engels qualifiait cette gauche de « conservateurs du salaire »). Quant à la gauche socialiste et démocratique ayant opté pour le salariat libéral, elle n’a plus rien à dire face à Macron qui fait la synthèse de cette gauche et de la droite.
L’extension du salariat et du marché du travail, avec la liberté de circulation des femmes qu’il implique, déstabilise les sociétés et les religions totalisantes, dont l’islam, qui dans ces circonstances deviennent totalitaires par peur de perdre leur hégémonie sur la société. Elle déstabilise aussi les pays marqués par l’animisme qui penchent vers les guerres tribales. Cette déstabilisation et l’attrait du salariat poussent à la migration de masse et à la violence. Nous ne sommes qu’au début de ce phénomène.
Le salariat, la transformation du travail en marchandise concurrentielle sur un marché est une invention qui remonte à 1394 selon Braudel. Il a fallu près de quatre siècles pour que les décrets d’Allarde et les lois Le Chapelier en 1791 mettent fin au travail « féodal » des corporations et autorisent pleinement le marché du travail. Auparavant, l’inquisition totalitaire s’en prenait à la liberté de circulation des femmes et des Juifs.
L’invention de rapports d’association dans l’économie et dans l’existence est d’actualité sur le long terme. Cette invention assortie de fermeté peut inciter un nouveau type de développement dans les pays d’émigration. Elle peut aussi offrir une solution à la solitude grandissante des seniors confrontés au vieillissement des populations.
Quant au combat contre le réchauffement climatique, il ne peut provenir que d’un rééquilibrage du rapport villes-ruralité bousculé par la construction de mégalopoles où se concentrent les candidats du marché du travail venus surtout d’Afrique.
De multiples signes en France témoignent d’une aspiration à un nouveau sens du collectif. Il est temps d’inventer des kibboutz urbains face à cette «crise du salariat qui s’annonce.
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