Léon Poliakov, visionnaire et méconnu
by Claude Berger on janvier 26, 2018
Léon Poliakov, historien et analyste de l’antisémitisme décédé en 1997, fut un membre actif du tout premier Centre de Documentation Juive Contemporaine.
Auteur du « Bréviaire de la haine » , de « L’étoile jaune », d’une « Histoire de l’antisémitisme » en quatre volumes, de plusieurs essais sur « La causalité diabolique », « La désinformation », « Le mythe aryen », « Les totalitarismes du XXe siècle », il nous a légué, outre ses « Mémoires », un héritage quelque peu délaissé dans l’air du temps embrumé par un refus du fait juif issu de la conjugaison de l’islamisme et d’une diabolisation d’Israël qui n’a d’antisioniste que le nom.
Poliakov est à la fois un éclaireur et un visionnaire dérangeant. Premier critère, l’antisémitisme ne provient pas de ce qu’induit l’existence des Juifs réels au sein des nations mais d’une projection liée à la matrice culturelle des deux religions issues du judaïsme et qui lui sont radicalement opposées, le catholicisme, religion d’Etat depuis Constantin, et l’islam. Il notera d’ailleurs que l’antisémitisme n’a pas sévi dans les pays situés hors de l’influence de leurs textes.
Preuve de la projection ? Paris est une ville sans Juifs depuis l’expulsion de 1394. Un meurtre y est commis à Paris en 1627 : le fils de Malherbe est tué. Le père accuse la synagogue. Autre crime commis en 1652. Il ne peut être que l’œuvre des Juifs ! On n’en trouve point ? Alors que l’on cherche des chiffonniers car les chiffonniers ne peuvent être que Juifs, criminels et cachés !
Deuxième point de la méthode de Léon Poliakov, il faut rechercher la source de cette projection dans la théologie d’abord chrétienne pour ce qui concerne l’antisémitisme européen, celui du passé médiéval mais aussi pour celui apparemment déchristianisé de l’époque contemporaine :
« Ainsi, on ne trouvera pas dans notre travail une étude systématique de la part prise par les Juifs au développement de la société industrielle ; à peine y trouvera-t-on un bref chapitre dans lequel nous disons pourquoi la notion d’ « antisémitisme économique » nous paraît dénuée d’une réelle valeur explicative, dans un domaine où c’est à la théologie qu’à nos yeux revient le rôle primordial (celui d’une « infrastructure » si l’on veut) ».
Le troisième point développé par Léon Poliakov concerne la sécularisation de cette matrice d’origine théologique par des penseurs apparemment matérialistes qui, dès le XVIIIe siècle et ensuite, vont ainsi pérenniser le brûlot antisémite dans la modernité, ce qu’il nomme dans l’extrait ci-joint « la persistance d’une sensibilité archaïque chez les hommes de lumières et bien au-delà ». Pied de nez à la thèse de Marx qui voyait dans le judaïsme une seule religion du trafic et une position de classe !
« Aussi insuffisant que nous paraisse notre travail, nous croyons que son mérite sera peut-être de révéler au grand jour, …, la persistance d’une sensibilité archaïque chez les hommes des lumières, et bien au-delà. Il est de fait que les survivances de cet ordre trouvent dans le cas de la relation judéo-chrétienne leur illustration la plus singulière. Notre hardiesse fut d’en entreprendre l’étude historique et de nous engager sur un terrain mal exploré, ou nos précurseurs furent peu nombreux, et que les sciences humaines, de la psychologie des profondeurs à la génétique humaine, n’éclairent qu’imparfaitement : serait-ce un dernier titre pour solliciter l’indulgence du lecteur ? » (Avertissement en préface à Histoire de l’antisémitisme, De Voltaire à Wagner).
Le quatrième point laisse entendre que cette matrice culturelle liée à la chrétienté projette un dogme qui formate les personnalités au plus intime de leur être dans leur inconscient. À l’origine de la spiritualité, il y a un couple, celui d’une mère vierge immaculée et d’un fils pur. Cette imagerie évoque une image incestueuse de la mère et du fils, elle assigne en conséquence à l’acte de chair un statut de péché originel qui relève de Satan. Le Juif en devient le porteur et prend le statut à la fois du père physique et du diable à tel point qu’il est écrit dans Jean (8) :
« Vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père ».
Il ressort de ceci une « équation mystérieuse » : le Juif est alors à l’origine de la chute, il est un corps étranger et répugnant comme la semence du père, il complote pour rétablir le pouvoir du père-diable, il faut le chasser…d’où ces phrases des Epîtres de Paul :
« Ils sont ennemis du genre humain et hostiles à Dieu »
Au même titre que l’acte de chair, également « hostile » à Dieu.
Ces quatre thèmes se retrouvent sécularisés dans tous les antisémitismes, chez Proudhon (« il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer »), chez Marx, rendre le Juif « impossible », chez Bakounine « dissoudre ce peuple sangsue », chez Fourier et chez les chrétiens germaniques qui, imprégnés de Luther, feront le lit du nazisme.
Ces quatre thèmes engendrent une pulsion de mort contre le Juif, pulsion qui procure un plaisir au moment du meurtre. Poliakov l’affirmera dans « L’étoile jaune » : Dannecker éprouvait un plaisir à assassiner les Juifs. Gershom Sholem le confirmera à propos d’Eichmann à l’opposé de celle qui prônait « la banalité du mal » soi-disant commis par un fonctionnaire sans stature. Poliakov l’affirmera :
« On croit deviner les raisons pour lesquelles l’érudition du XXe siècles préfère se taire sur les diatribes antijuives d’un Voltaire ou d’un Kant, d’un Proudhon ou d’un Marx. Pourtant, ces textes existent. On peut les considérer comme des propos sans grande conséquence, comme un tribut négligemment payé aux idées reçues du temps, ou au contraire se demander s’ils n’expriment pas une orientation essentielle de la pensée occidentale […] A ce propos, la sociologie et la psychologie des profondeurs ont révélé de nos jours des corrélations entre l’antisémitisme et la structure de la personnalité dont l’existence ne laisse plus de place au doute (même si les auteurs divergent sur les interprétations, suivant les écoles). »
Poliakov se livrera donc à une analyse du sieur Voltaire qui adressait sa vindicte à la « souillure juive » et qui s’en prenait « aux déprépucés d’Israël ». Là se révèle la découverte de Poliakov qui éclaire le lien entre la matrice culturelle et la formation de la personnalité dès « le lait maternel » :
« Les critiques littéraires n’ont également pas manqué de relever la répétition dans les tragédies de Voltaire du thème de parricide, ce qui suggère une homosexualité latente, d’où les angoisses de la castration…Restent les déterminations sociales, celles qui purent inciter cet enfant frustré à demander ses comptes à tel substitut parental…à investir ses haines irraisonnées, la spécificité de l’antisémitisme consistant précisément en ce que le peuple dit de Dieu, qui est au surplus circoncis, constitue pour la logique de l’inconscient chrétien l’objectif le plus raisonnable. »
Et de rappeler ces « déterminations dans le cas de Voltaire : famille paternelle bourgeoise et pieuse, mais du côté maternel, de tout autres influences ; un ami de sa mère… lui faisait réciter des couplets de la Moïsade… où il était question de l’infection du monde par le peuple maudit…
Fort de ses découvertes, Léon Poliakov élucidera la religiosité des totalitarismes et leur jouissance à incarcérer et à meurtrir. Cette méthode de Poliakov, il est temps de l’appliquer aux totalitarismes issus de l’islam comme à l’antisémitisme du silence qui se tait lorsqu’on défenestre une dame respectable du seul fait qu’elle soit juive. Il est temps de mettre les dogmes totalisants à vocation totalitaire sur un divan.
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